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Syméon Fieulaine

Pascal Génot, retour de résidence au Salon des Impatients.

Photo du rédacteur: Syméon Fieulaine-ModangeSyméon Fieulaine-Modange

Inviter quelqu'un chez soi, c'est déplacer le regard sur les choses que l'on connait, que l'on pense évidentes et naturelles. Le but des résidences d'artistes au "Salon des Impatients", c'est donner à voir ou proposer de voir sous un autre jour un quartier "populaire". C'est une manière de ré-enchanté le quotidien et ouvrir des possibles, là où certains récits, commentaires prennent souvent la forme des prophéties auto-réalisatrices.

Les mots sont cruels ils colorent le paysage.

Nous dirons alors, "L'imaginaire au pouvoir, et sous les pavés la plage"; non celle des estivants, mais celle où le regard se plonge dans l'horizon, au-delà des vagues, pour aller plus loin.


Le Salon des Impatients




Les Voyants. Une écriture discrète # Chalon-sur-Saône, quartier du Stade, automne 2022 – Pascal Génot


Les Voyants. Une écriture discrète # Chalon-sur-Saône, quartier du Stade, automne 2022


Fin septembre début octobre 2022, j’ai été invité par la compagnie théâtrale Les Faiseurs de pluie à passer une semaine en résidence au quartier du Stade de Chalon-sur-Saône, en Bourgogne-Franche Comté.


Quoique et car – les deux sont justes – ce fut un ami qui m’invitait là, j’étais flatté. Mais aussi gêné : j’avais accepté l’invitation avec enthousiasme mais qu’allais-je faire de cette semaine qui m’était proposée ?

Je n’avais pas de projets en cours qui puisse s’insérer là. Syméon Fieulaine, le directeur artistique et metteur en scène des Faiseurs, était confiant : en bon théâtreux, il avait posé une situation comme on dessine un cercle sur le sol et attendait ce qui allait y passer.


Depuis 2019, Syméon bricole un projet qu’il a nommé « Le Salon des impatients ». Dans un quartier HLM et périphérique de Chalon, ville où lui-même est venu vivre quelques années plus tôt quittant la Provence qui l’abritait, il a ouvert un « bureau-atelier » où les habitants du quartier peuvent venir et passer un moment à bricoler, eux-aussi.



Bricoler du lien, du sens, des mots, des images. Les enfants et les ados, surtout.

Mais aussi « les mamans » et, parfois, « les papas » ; et les anciens, « les chibanis ».

Est-ce « de l’art » ce qui se fait là ? Du « socio-cul » ?

« Je refuse de choisir entre les deux, de trancher », me dit Syméon.


Il y en a pour qui l’art est de marcher.

D’autres, d’agencer des cailloux. Prendre un café avec une goutte d’eau de fleurs d’oranger attablé au bar avec quelques « gars du quartier », comme les appellent « les filles », ne serait pas de l’art ? L’artiste, en tous ces cas, n’a rien à faire là.

C’est là que l’art commence.


A la cité du Stade, quartier construit au nord de Chalon années 1960, une partie des immeubles ont été détruits années 2000 ; d’autres doivent l’être dans les années à venir. L’école élémentaire devenue trop grande pour une population désormais réduite, une partie des locaux scolaires ont été réaffectés en pôle associatif. Symeon s’est installé dans une salle mise à disposition par la municipalité au sein de ce pôle, a trouvé quelques financements du côté de la « CGET 71 », et passe depuis du temps, pas mal de temps, là.


Lorsqu’il se déplace dans le quartier, les enfants le voient et l’appellent : « Syméon ! Syméon ! ». Leurs voix sonnent comme des cris de paon. L’artiste ne peut faire quelque chose dans un quartier, comme dans un village ou dans une tribu, s’il ne fait, bien souvent, que n’y rien faire. Le quartier n’est pas une salle de spectacles ou d’expositions. Il ne se programme pas.


Au Liban, lorsque l’on propose à quelqu’un de faire quelque chose, par exemple s’il serait d’accord pour qu’on se voit, qu’on aille quelque part, il se peut que

cette personne réponde : « Oui, demain ».

Mais « demain » n’est pas le lendemain. « Demain » est un renfort du « oui » et signifie « je souhaite vraiment que cela ait lieu prochainement ».

Mais quand, prochainement ? « Demain ». Dans un quartier, l’artiste qui accepte « demain » aura peut-être un jour la surprise d’un public à l’heure.



Ainsi, les enfants et adolescents conviés à un atelier viennent au jour et à l’heure, les plus grand.e.s amenant les petit.e.s dont iels ont la garde. Iels viennent car c’est le jour et l’heure dites pour l’atelier ; et parce qu’ils ont vu la voiture de Syméon garée dans la cour, qu’iels ont levé les yeux vers la fenêtre du « bureau-atelier », ont vus qu’elle était ouverte, que l’un.e a dit à l’autre « viens, on monte voir ».


« Les anthropologues n’étudient pas des villages (des tribus, des villes, des quartiers…) ;

ils étudient dans des villages ».

Clifford Geertz


L’anthropologue, comme l’artiste, n’a rien à faire là. Et si leur présence, celle de l’anthropologue ou celle de l’artiste, peut être le début de la science ou de l’art, elle peut être aussi le début des soucis pour celles et ceux qui sont là ; ou la poursuite des soucis, des emmerdements. En Corse, pour dire que les choses de la communauté vont empirer, un dicton dit « les affaires sont écrites en français ».


Lorsque la langue du fort parle, langue qu’on ne comprend pas ou peu, mal, ou trop bien, ce n’est pas bon signe. A Marseille, l’année « Capitale Européenne de la Culture », 2013, avait été devancée par un graffiti sur un mur du quartier de la Plaine : « 2013, l’artiste précède le flic ». L’anthropologue, l’artiste, parle français.


Début septembre, je ne savais toujours pas quoi faire à Chalon ; j’écrivis au Salon des impatients :


« "En résidence" pour un auteur, ça ne signifie pas vraiment « habiter », ou « vivre ». Mais ça implique d’être ailleurs que chez soi pour faire ce que, d’habitude, on fait chez soi ; ou que l’on peine à faire chez soi, ralenti par le poids de la routine. Donc, pour moi, écrire, et transmettre.


Je viens avec plaisir, avec mes trois casquettes. Celle de l’auteur qui écrit des scénarios de bande dessinée. De l’intervenant en éducation aux images, qui va d’établissements scolaires en établissements culturels pour parler de cinéma avec jeunes et moins jeunes ; de cinéma, et de tout ce dont on peut parler à partir du cinéma, le monde où nous habitons.

Du docteur en sciences de la communication amateur de sociologie qui voudrait mieux voir comment nous voyons ce que nous voyons. J’aimerai qu’on trouve des temps où je puisse apporter quelque chose au Stade grâce à l’une ou l’autre de ces casquettes ; l’idée de venir les mains vides, je ne peux pas. Mais je viens aussi avec plaisir, car Chalon, pour moi, c’est inattendu ! Mes projets, passés ou en cours, sont tous tournés vers la Méditerranée.


Marseille, où j’habite. La Corse, d’où je viens, retourne. L’Algérie, où j’ai pu porter mes yeux chaque année durant presque dix ans, jusqu’à ce qu’un nouveau virus ne ferme les frontières plus encore qu’elles ne l’étaient déjà. La Bourgogne-Franche Comté, en ça, c’est ailleurs.

Un ailleurs d’opportunité que je n’ai ni rêvé ni projeté. Et au travers duquel je verrai peut-être apparaître un peu plus, par les jeux de

similarité et de différence, par des mots entendus ou échangés, ce qui me préoccupe depuis la sortie des confinements : comment la ville où je vis change ou, plutôt, comment nous la voyons changer, comment cet ici devient ailleurs, le familier, étrange, dans le pli des urgences.


A bientôt, donc, j’espère »


J’écrivais « j’espère » pour ne pas invoquer « Dieu et Sa Volonté » mais j’avais le souci de ne pas irriter le futur ; d’autant en ayant évoqué les confinements et le nouveau virus quelques mots plus tôt.


J’écrivais « je » pour « communiquer », me doutant bien que Syméon ferait quelque chose de ma lettre numérique, adressée jointe à un e-mail. Il la reprit effectivement, la publiant sur le site web de la compagnie.


J’écrivais « je » pour me « justifier », emprunt du sentiment de ne pas être éligible, que d’autres que moi valent mieux leur statut d’auteur ; aussi, par lutte contre l’imposture, l’imposteur fusse-t-il moi.


J’écrivais « je » pour ouvrir des pistes : ce que je ferai ne pourrait être fait que de ce que je croyais savoir-faire au travers de ce que j’avais déjà fait (hum...). Là, j’ai bricolé ; avec mes prises de tête.


Au sortir des confinements, dont on commence tout juste à dire tant ça se perd subjectivement dans d’autres affections critiques de l’époque le poids réel et durable, j’ai constaté être pris d’un sentiment double vis-à-vis de la ville où je réside depuis 25 ans.


Ce que devenait Marseille me déplaisait profondément ; je me sentais pris d’un appétit débordant pour Marseille.


A main droite, l’embourgeoisement de quartiers populaires du centre-ville, dont celui où j’habite, le Camas côté boulevard Chave-boulevard Eugène Pierre. L’embourgeoisement de quartiers du centre, tandis qu’on n’en continue pas moins à crever, littéralement, dans d’autres quartiers populaires du même centre de cette même ville, et dans ceux de la périphérie. J’ai cru bon de faire miens les morts dans l’effondrement de deux immeubles de la rue d’Aubagne le 05 novembre 2018 ; je ne suis jamais allé me recueillir en mémoire de ceux qui meurent de balles réelles dans les quartiers nord.


La ville est coupée, ségréguée, nos deuils en suivent les frontières.

A main gauche, une faim visuelle, auditive, olfactive, tactile, intellectuelle et morale pour des bouts de rue, des échappées, des ouvertures sur les collines dans le lointain, pour des boutiques, des tables en coin de terrasse, une pierre plate face à la mer. Je me surprenais à partir prendre mon café d’après déjeuner à la terrasse d’un bar de Noailles car je savais que je n’y trouverai pas de place assise à moins de partager la table avec quelqu’un d’autre ; et que, très probablement, on en viendrait à papoter.


Je m’étonnais d’être comme obsédé pendant plusieurs jours par la vue d’une rue entraperçue à quelque occasion et d’aller m’y promener dès que je le pouvais, regardant et regardant encore sans comprendre le pourquoi de cette obsession.

Cela me déconcertait car pendant des années et des années, pendant plus de 20 ans, j’ai vécu à Marseille, certes, mais sans la goûter ainsi.


A main droite, donc, l’embourgeoisement. A main gauche, donc, l’appétit.


Au sortir des confinements, deux autres gamberges m’ont également pris la tête.

Le crash climatique. Comment mon arrogance intellectuelle à me juger comme quelqu’un qui pense son rapport au monde avait pu laisser ça plus loin même qu’en marge ? Je n’étais pas seul en ce cas, oui. Naomi Klein, par exemple, ouvre son livre sur le changement climatique sur un tel constat.


Bon, ça m’a rassuré d’avoir porté les mêmes œillères que Naomi Klein. N’empêche...

L’éducation aux images. Comment retourner travailler dans des établissements scolaires après deux ans d’interruption quasi-totale de cette activité professionnelle qui ont aussi été deux ans au travers desquels les publics ont, paraît-il, perdu l’habitude de la salle au profit de celle des plateformes de streaming ?


J’avais déjà le sentiment que la grande ignorance que nous avons du rapport pratique aux images et aux récits des adolescentes et des adolescents est un obstacle pédagogique majeur à l’éducation artistique et culturelle. Ne serait-il pas temps d’en savoir plus ? Et d’éclaircir mon propre rapport au cinéma.

Car il y a, dans ma pratique pédagogique, un os : je rencontre des « jeunes » pour parler avec eux de cinéma comme si le cinéma, les films et les salles, était quelque chose d’important alors que, moi-même, je ne vais plus qu’exceptionnellement au cinéma et que je ne vois quasi plus de films.


Et je ne vois pas plus de séries : les récits audiovisuels ont perdu leur place dans mon temps libre.« Tu as vu... ? », me demande-t-on. « Non. » « Ah… Et tu as vu… ? »

« Non… » « Et tu… ? » « Non. ». Certes, les « TMS » – « Troubles musculo-squelettiques »,

cervicalgie, lombalgie et autres joyeusetés dysfonctionnelles et douloureuses chroniques – font qu’il m’est de plus en plus difficile de rester assis au-delà de 30-45 minutes. Mais elles ne font pas tout.

Avec en bruit de fond ces prises de tête, j’ai donc bricolé un programme pour ma semaine au Stade.


Du concret cadré dans de la durée. Un atelier d’éducation aux images autour d’un court-métrage du cinéaste Paul Carpita, cinéaste auquel une bande-dessinée que j’ai co-écrite est consacrée et auquel un outil d’éducation à l’image, le Cinaimant développé par l’association Les Écrans du Sud est consacré. Syméon était d’accord pour accueillir cet atelier dans son

« salon » et le proposa aussi à l’école élémentaire du Stade ; la professeure des CM1-CM2 accepta. J’étais rassuré.

Quoi que je fasse durant cette semaine, j’aurai a priori fait ça.


De l’aléatoire, du confus, auquel il faudrait néanmoins des moments dédiés. Photographier le quartier. Les lieux, non les gens, afin qu’il n’y ait pas d’inquiétudes à diffuser ces images

publiquement – et car photographier les personnes n’a jamais été mon fort. Chaque jour, j’allais poster sur les réseaux.


Pour « communiquer ». Pour me mettre dos au mur, rende plus difficile de ne pas faire ce que j’aurai dit, publiquement, faire. Et puisqu’une ville qui change, change aussi au travers de ses cinémas, je prévoyais de partir à la recherche des salles de Chalon-sur-Saône et de mes souvenirs du spectateur que je ne suis plus.


Cela a donné ça, première issue d’un projet d’écriture issu de cette résidence, Les Voyants.


À mon retour à Marseille, j'avais une enveloppe dans ma boîte aux lettres ; ces enveloppes blanches format DL2, 114 mm par 229, sans timbre ni nom de destinataire et dont, habitué, on s’attend à ce qu’elle contienne le mot d’un agent immobilier imprimé avec une typographie imitant grossièrement une écriture manuelle. Effectivement.


Madame, Monsieur,


Les prix de l'immobilier n'ont plus aucune cohérence. Le marché a pris 20 % en deux ans.

Étant natif du secteur, je me permets de vous écrire car je recherche un bien dans votre secteur pour un couple de clients cherchant à se rapprocher de leur famille.


Nous rentrons dans la meilleure saison pour vendre. Nous venons de réaliser quatre compromis en un mois sans publicité pour des clients qui s'installent à Marseille.

Si vous souhaitez vendre votre bien je suis à votre disposition.


Prénom nom

Numéro de portable

Signature


Peu importe que la ficelle fut grosse. Et que l’agent ne soit évidemment pas « natif du secteur » si ce n’est, en l’occurrence, celui du marché de l’immobilier. Le mensonge fait partie du folklore commercial.

Son absence pousserait à la méfiance.


Ce qui importe est que, peu à peu, ceux qui peuvent vendre et ceux qui peuvent acheter poussent vers la sortie ceux qui ont déjà du mal à louer.


Marseille, novembre 2022


Lien vers Les voyants, projet de Pascal Génot entamé au quartier du Stade, où l’on découvre que le cinéma c’est aussi une affaire de déplacement :

 
 
 

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